La plus secrète mémoire des hommes – Mohamed Mbougar Sarr (Philippe Rey – prix Goncourt 2021)

Comme vous le savez, je lis assez peu de roman contemporain, et souvent après tout le monde. Le prix Goncourt 2021 m’a été offert à l’automne mais il a patienté sagement que je sois disponible pour le lire. Et en effet il faut avoir l’esprit disponible pour le lire. La plume de Mohamed Mbougar Sarr est exigeante et savante (que de mots que je ne connaissais pas), je l’ai lu presque d’une traite par peur de perdre le fil de cette histoire ou plutôt devrais-je dire de cette quête. Malgré cette lecture rapide, j’étais parfois perdue et je ne comprenais pas qui parlait, mais à chaque fois on retrouve vite le fil et petit à petit, le puzzle de l’histoire se forme sous nos yeux. C’est un roman hardi qui pose de très nombreuses questions et à la trame romanesque complexe.

Ce roman raconte une quête, celle d’un écrivain sénégalais, Diégane Latyr Faye, un livre disparu mais qui avait fait sensation lors de sa parution en 1938, il s’agit du Labyrinthe de l’inhumain, écrit par un auteur africain, T.C. Elimane, depuis lors disparu. Cet auteur est toujours demeuré silencieux et invisible malgré les nombreux débats qu’il a suscité à la parution du livre : est-ce possible qu’un Noir écrive si bien ? est-il un plagiaire ? Diégane entraîne alors le lecteur dans un cercle de jeunes auteurs africains et il s’attache à deux femmes, Siga, la détentrice de secrets et la photo journaliste Aïda. Peu à peu, par brides, on découvre le passé d’Eliane mais c’est aussi pour Diégane un moyen de s’interroger sur son écriture, le roman devient alors roman d’apprentissage car cette quête littéraire devient peu à peu une quête existentielle, Diégane veut trouver l’Homme qui est lui. On circule de l’Afrique à Paris, jusqu’à Buenos Aires, on remonte à l’époque des Tirailleurs sénégalais. La narration alterne entre récit, témoignage, enquête : une construction savante et une structure polyphonique.

Le roman m’a semblé aussi être une mise en abîme de l’auteur lui-même, du moins pour la partie création littéraire. Il y a de très nombreuses réflexions sur la littérature, son pouvoir, son but comme celle-ci que je trouve assez juste : « Les grandes oeuvres appauvrissent et doivent toujours appauvrir. Elle ôtent de nous le superflu. De leur lecture, on sort toujours dénué : enrichi, mais enrichi par soustraction. » (p.47) ou encore « Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant, tout y est. » (p.50 – et comment ne pas penser à Flaubert à ce moment-là). Plus on avance dans l’intrigue, plus l’auteur s’interroge sur la littérature africaine et sur les liens franco-sénégalais.

Je vous laisse sur cette réflexion finale : « Il se peut qu’au fond chaque écrivain ne porte qu’un seul livre essentiel, une oeuvre fondamentale à écrire, entre deux vides. »

2 commentaires sur « La plus secrète mémoire des hommes. Mohamed Mbougar Sarr »

  1. Belle chronique où on sent une intensité d’émotions. Un de mes livres préféré de l’année passée. Un immense écrivain que j’ai aimé approcher lors d’une présentation en librairie et dont j’ai aimé partager ma lecture sur les réseaux. J’attends avec impatience son prochain livre…

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