Une jeunesse au temps de la Shoah. Simone Veil

Simone Veil – Une jeunesse au temps de la Shoah – extraits d’Une vie (Le Livre de Poche)

« L’idée d’extraire de ma biographie les quelques passages qui peuvent être regardés comme d’utile pédagogie vis-à-vis de la jeunesse d’aujourd’hui m’a paru séduisante. » Simone Veil

Ce livre réunit donc les quatre premiers chapitres d’Une vie et couvre la période de la guerre, de 1927 à 1954. De l’enfance heureuse à l’horreur des camps de concentration, mais aussi ce difficile retour avec l’envie d’en parler confrontée à la volonté des autres de se taire ou ne pas vouloir entendre. C’est un texte que je lis avec mes élèves de 3e, nous irons voir aussi le film et nous aurons un aperçu plus large de la vie de Simone Veil, de sa personnalité et de ses combats multiples.

Que dire sur un tel récit ? pas grand chose, c’est glaçant, c’est atroce, c’est horrible. Survivre dans les camps, côtoyer la mort… Dans un style pudique et digne, Simone Veil raconte son parcours courageux, sa résilience, sa lutte.

« C’est le parfum envolé de l’enfance, d’autant plus douloureux à évoquer que la suite fut terrible. » Quelques pages sur la petite enfance, une famille unie et aimante, Simone grandit dans l’insouciance. Elle raconte comment ses parents s’installent à Nice dans les années 30, elle raconte sa comment ils acceptent les premières restrictions. « En un mot, ce que nous ignorions, au sein de cette famille heureuse où l’on venait de fêter mes onze ans, puis mes douze ans, c’est que le paradis de l’enfance était en train de s’engloutir. »

Puis c’est l’occupation. Et puis l’arrestation. Drancy. Auschwitz. Bobrek. Bergen-Belsen. Bobrek. Simone Veil décrit longuement les marches de la mort, elle raconte comment elle fut « protégée » par une kapo qui la trouvait jolie, elle raconte la mort de sa mère et puis la libération.

C’est très dur de parler de ce récit, il est un témoignage court et poignant, c’est une lecture nécessaire, il est impossible de ne pas se souvenir et le lire fait partie de notre devoir de mémoire, ne pas oublier ce que la haine peut engendrer.

« Là-bas, dans les plaines allemandes et polonaises, s’étendent désormais des espaces dénudés sur lesquels règne le silence ; c’est le poids effrayant du vide que l’oubli n’a pas le droit de combler, et que la mémoire des vivants habitera toujours. »

En complément de cette lecture, je vous conseille les deux romans graphiques Simone Veil ou la force d’une femme d’Annick Cojean, de Xavier Bétaucourt et d’Etienne Obourie et Simone Veil, L’immortelle de Bresson et Hervé Duphot.

Ces rêves qu’on piétine. Sébastien Spitzer

Ces rêves qu’on piétine – Sébastien Spitzer (Le livre de Poche)

Je vais avoir du mal à parler de ce roman car je suis assez partagée. Je viens de terminer et je trouve que c’est sublime, je suis encore toute tremblante face à ces dernières pages tellement bouleversantes. Mais je me souviens aussi qu’en début de roman, j’ai eu du mal à entrer dans le récit, à saisir qui étaient les différents protagonistes et quels liens existaient entre eux, qui écrivaient les lettres qui constituaient certains chapitres, qu’est-ce que c’est que ce cahier qui passe de main en main… c’est venu petit à petit. Très progressivement, quelques éléments historiques sont donnés et j’ai compris les histoires parallèles, celle de Judah, celle de Magda, celle d’Ava, celle de Lee… et puis j’ai compris l’idée de transmission d’une histoire, le devoir de mémoire instauré dès les camps. Mais la construction du roman m’a déroutée et pourtant, je crois, que c’est aussi ce qui en fait son charme et sa puissance.

« Il a été arraché comme une mauvaise herbe, un nuisible, une pousse adventice dont il fallait se débarrasser sous peine de tout gâter. » (p.20)

Sébastien Spitzer s’intéresse aux grandes marches, celle des survivants des camps. Mais il s’intéresse aussi et surtout à Magda Goebbels dans les dernières heures du régime nazi, à Berlin, alors assiégé. C’est la femme la plus puissante du IIIe Reich, elle est terré dans un bunker. Magda est glaçante, froide, méprisante tout l’inverse des autres personnages féminins, la petite Ava, si touchante, si silencieuse. Elle est finalement le point d’ancrage du récit mais aussi la représentante de tous les enfants des camps.

Il y a des scènes presque insupportables à lire, il en est ainsi de la scène dans la grande de Gardelegen. Les dernières scènes avec Magda sont atroces, comment faire ça ? C’est glaçant. C’est un roman saisissant et qui m’a permis de découvrir cette femme qui rêvait d’être quelqu’un.

« Je sais que je vais mourir. Non pas à cause de cette lettre, ni de celles que j’ai recopiées, ni des fautes d’orthographe que j’ai laissées dans la correspondance de ce cochon d’officier allemand, ni pour la tache d’encre que j’ai faite ce matin sur mon pupitre, ni pour tout ce que je pourrai faire, non. Je vais mourir parce que je suis un homme né d’un homme et d’une femme qui priaient un autre Dieu que le leur, d’une mère qui pétrissait le pain autrement qu’eux. Je vais mourir. Et beaucoup d’autres mourront comme moi. Vous avez laissé faire.« 

Cent ans de solitude. Gabriel Garcia Marquez

Cent ans de solitude – Gabriel Garcia Marquez (Edition Points)

Sur mes étagères, il y a des romans lus depuis très longtemps qui me font souvent de l’oeil. J’ai donc sorti Cent ans de solitude de mes étagères, roman que j’avais déjà lu il y a plusieurs années. Même si je dois reconnaître plein de qualité à ce roman, je n’ai pas été enthousiasmée. C’est bizarre, j’en avais un excellent souvenir, le souvenir d’un roman, cartes ardu à lire, mais qui, à un moment donné comme par magie, devient addictif. Ce ne fut pas du tout le coup pour cette relecture (première fois d’ailleurs qu’une relecture me déçoit…); je peux même dire que les dernières pages furent laborieuses.

Mais Cent ans de solitude c’est le récit d’une famille, d’une lignée marquée par la guerre, la violence. Cette famille, c’est celle d’Aureliano Buendia qui traverse l’histoire. Au départ, il y a une famille, Macondo, bourg mythique dans lequel vit la famille Buendia marquée par une malédiction qui pèse sur les siens. Le récit est un conte, un récit proliférant qui nous entraîne dans le merveilleux, le réalisme magique. Gabriel Garcia Marquez raconte l’histoire de ce village et de ces créateurs en évoquant les peines, les espoirs et les craintes. Je reconnais avoir été parfois perdue : les prénoms sont les mêmes d’une génération à l’autre et il faut suivre les aventures rocambolesques.

La douleur. Marguerite Duras

La Douleur – Marguerite Duras (Folio)

La douleur… quel texte ! c’est perturbant, c’est choquant, je pense que je n’avais rien lu de tel sur la Shoah… ça ne dit rien et ça dit tout… il y a une pudeur dans la narration qui dévoile de manière très implicite. Marguerite Duras raconte l’attente, l’attente de Robert L. qui doit rentrer des camps, qui devrait rentrer des camps… elle ne sait pas, elle ne sait rien… elle sait que cette attente est une souffrance, que la douleur de patienter et de ne pas savoir est innommable. Elle va et vient, elle quête les annonces de retours dans le journal Combat, elle observe les quais où les déportés arrivent, elle scrute les visages, elle interroge, elle essaye de savoir si quelqu’un sait dans quel camp était Robert L., si quelqu’un sait s’il est vivant. La description de ces journées d’attente est atroce. C’est bouleversant. Par bribes de notes, elle évoque ce retour des déportés, les regards vides, les corps meurtris, la douleur de ceux qui retrouvent des êtres tellement métamorphosés qu’ils les reconnaissent à peine, la douleur pour reprendre pied… « S’il avait mangé dès le retour du camp, son estomac se serait déchiré sous le poids de la nourriture, ou bien le poids de celle-ci aurait appuyé sur le coeur. »

Je suis un peu sans voie devant ce récit. Il y a ensuite plusieurs nouvelles, toujours autour de la seconde Guerre Mondiale. Mais je n’ai qu’un mot à dire : lisez ce récit bouleversant !

Lu dans le cadre du Challenge Les classiques c’est fantastique organisé par https://aumilieudeslivres.wordpress.com et https://pagesversicolores.wordpress.com

Soldat Peaceful. Michael Morpurgo

Soldat Peaceful – Michael Morpurgo (Gallimard Jeunesse)

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge Les classiques, c’est fantastique du blog Au milieu des livres et de Mes pages versicolores. Ce mois-ci, le thème était « Quand l’histoire raconte l’histoire ». A la lecture de ce thème, je reconnais ne pas avoir été inspirée. Longtemps aucun titre ne m’est venu, ou seulement des livres que j’avais déjà lu. Mais j’avais envie d’une découverte. En ce mois de commémoration de l’armistice, j’avais une autre envie, celle d’une lecture parlant de la Première Guerre Mondiale.C’est pourquoi je me suis tournée vers la littérature jeunesse. Et Michael Morpurgo s’est imposé à moi.

Au cours d’une nuit, une dernière nuit, le soldat Tommo Peaceful décompte les heures, il ne veut surtout pas dormir, il veut se souvenir, il veut penser à lui et à eux. Tommo, dix-ans, veille donc et se remémore sa vie passée. C’est ainsi qu’il raconte son enfance en Angleterre dans une famille modeste mais aimante, la mort de la son père, leur logeur le Colonel et ses règles, leur mère qui leur protège coûte que coûte, son frère Charlie qu’il ne quitte jamais et Molly, celle qu’il aime. Au fil des chapitres, la guerre approche. Elle est d’abord une rumeur et puis Tommo est confronté à des soldats. Bien qu’âge de seize ans seulement, Tommo s’engage tout simplement car il n’a jamais quitté Charlie et refuse d’être loin de lui, leur lien est trop fraternel et fusionnel. Avec honneur, il veut défendre son pays. Alors on découvre les tranchées, la boue, les rats, les commandants et les commandements inutiles, la pluie et l’humidité, le froid, la peur, le bruit… Tommo raconte leurs quotidiens dans les tranchées, les amitiés, les lettres reçues, les amitiés nouées, les camarades perdus ou blessés. Tommo veut profiter de ces dernières heures pour se souvenir que rien n’est plus beau que l’amour et la fidélité.

C’est un beau livre avec une fin poignante, un hommage sensible à tous ces soldats qui ont lutté pour nos libertés. C’est un récit qui permet de réfléchir à la question de l’injustice des fusillés pour exemple, un sujet rarement évoqué en littérature finalement. Comme toujours avec les romans ou les histoires sur la guerre, j’ai la boule au ventre de lire ça, de lire ce que ces hommes ont vécus, de me dire que tout ceci a pu exister. De l’insouciance d’un gamin de seize ans, on passe à l’atrocité de la guerre, de la haine et de la violence. On comprend comment ce conflit a brisé des hommes et des familles ; heureusement les frères Peaceful possèdent une humanité et une fraternité qui les rendent touchants et attendrissants.

« Je ne pouvais même plus me tromper moi-même en feignant de croire en un Dieu miséricordieux, ni au paradis, plus maintenant, pas après avoir vu ce que les hommes peuvent faire à d’autres hommes. Je ne pouvais plus croire qu’à l’enfer dans lequel je vivais, à l’enfer sur la terre, un enfer créé par l’homme et non par Dieu. » 

Confusion – Elisabeth Jane Howard

Le 3e tome de la série des Cazalet, après une longue interruption j’ai retrouvé avec plaisir cette famille. J’ai mis quelques pages à retrouver qui était qui (notamment les connaissances éloignées de la famille) mais très vite, je me suis sentie à l’aise et tellement heureuse de tous les retrouver. Ce 3e tome m’a enchanté, peut-être encore plus que les deux précédents (que vous pouvez d’ailleurs retrouver ici pour Etés anglais et ici pour le tome 2, A rude épreuve). Contrairement aux deux premiers, il n’y a pas ces premières pages que j’avais trouvées longues.

Confusion – Elisabeth Jane Howard (Edition La Table Ronde)

Nous retrouvons la famille Cazalet en 1942, peu de choses ont changé à Home Place. Sybil est décédée, c’était un personnage que j’aimais beaucoup et qui m’a profondément manqué dans ce tome. J’aimais le duo qu’elle formait avec sa belle-soeur, Villy. Mais dans ce volume, Elisabeth Jane Howard s’intéresse davantage à la 3e génération des Cazalet, celle des petits-enfants qui deviennent peu à peu adulte. Ce tome est centré autour des deux cousines Polly et Clary, mais aussi de Louise. Le groupe des cousins est moins présent, éloigné d’Home Place par les études. On retrouve beaucoup Zoé également, la femme de Rupert et mère de la petite Juliet. C’est donc un tome essentiellement centrée sur les femmes de la famille Cazalet. Il faut dire que les hommes sont aux affaires, absents ou bien peu actif, le Brig notamment. Polly et Clary cherchent à quitter l’étau familial, à rejoindre Londres, à s’émanciper de Home Place. C’est ce qu’a réussi à faire Louise mais son mariage si prometteur s’annonce, pour elle, bien décevant. Pour la jeune mariée et la jeune mère, les désillusions s’enchaînent. C’est un tome assez triste malgré le fait que la famille soit assez protégée de la guerre, le conflit n’est finalement que peu présent dans le déroulement de la vie, on suit le conflit grâce aux discussions entre les personnages (le débarquement, la découverte des camps par exemple, l’armistice est évoquée également). Cependant durant tout le roman on sent une atmosphère pesante sur Home Place. Le Brig lutte avec la cécité, Edward menace sa famille par ses infidélités, Zoé est isolée et s’interroge sur la disparition de Rupert, Hugh est en deuil, Rachel est occupée par tous les domestiques et ses parents qui vieillissent.

Il y a de nombreux sentiments dans ce tome et les personnages semblent se battre avec eux : il y a de l’amour, des disputes, des naissances, des déceptions, des aspirations et au milieu de toute cette confusion, c’est Archie qui semble le pilier de la famille. Il recueille les confidences de chacun et connaît tous les secrets. Ce tome 3 est donc à la hauteur des précédents, j’aime chaque membre de cette famille, certains plus que d’autres mais ils ont tous une forme de tendresse, les dernières pages sont génialissime, Elisabeth Jane Howard sait donner envie de nous jeter sur la suite : Alors vivement que j’achète le tome 4 !!

Le jardin du dedans-dehors. Chiara Mezzalama et Régis Lejonc

Le jardin du dedans-dehors – Chiara Mezzalama et Régis Lejonc (Editions des éléphants)

Avant de parler de l’histoire, je voudrais parler de cet album, de l’objet qu’il est car il est très beau. Son format atypique est magnifique, il met pleinement en valeur les illustrations d’inspiration persane. C’est un livre très agréable à tenir entre les mains et avant de le lire, je l’ai plusieurs fois feuilleté jusqu’à ce soir où je me suis dit qu’au-delà des dessins il fallait que je le lise.

Le jardin du dedans-dehors est une histoire amitié entre deux enfants. La famille de Chiara part s’installer en Iran, son père y est nommé ambassadeur. On en en 1981, le pays est en guerre avec l’Irak. Mais Chiara, elle, découvre un jardin luxuriant, un jardin de princes et de princesses. Dehors, c’est la guerre, c’est la « ville monstre », ce sont des soldats, ce sont des bombes, ce sont des hommes barbus… Derrière le mur, dans son jardin, elle joue avec son frère et leur chien, court avec des lézards et s’amuse en toute insouciance. Jusqu’au jour où un jeune garçon escalade le mur du jardin.

Au-delà de cette histoire d’inspiration autobiographique, je trouve que la thématique des murs, du jardin comme prison dorée et la réflexion autour de la frontière est très intéressante d’autant qu’elle est universelle et intemporelle. Ce mur protège mais isole, ce mur, s’il est franchissable, peut devenir une menace mais il devient une découverte de l’autre et le lieu d’une prise de conscience de l’extérieur. C’est un livre qui rejoint la sélection pour mes 6e (sélection autour de la thématique du jardin) mais que je vais aussi proposer à la lecture à mes 3e pour réfléchir aux thématiques abordées.

Je ne résiste pas à l’envie de vous citer cette phrase que je trouve d’une beauté incroyable : « Parfois les hommes deviennent fous, de rage, de haine, ils perdent les mots. Ils choisissent les armes. » J’espère vous avoir donné envie de lire cet album car il mérite le détour et permet avec des adolescents d’aborder des sujets pas toujours évidents.

Moura. Alexandra Lapierre

Moura, la mémoire incendiée – Alexandra Lapierre (Pocket)

Moura est un roman biographique et historique : c’est l’histoire de Maria Zakrevaskaïa… mais c’est surtout le récit de ces mille et une vie. Je ne connaissais pas du tout cette femme et je trouve qu’elle a une histoire incroyable d’autant que beaucoup d’incertitudes demeure sur son rôle exact. Elle est parvenue à garder un mystère autour de ses actions et c’est assez improbable. Au début du roman, nous sommes en Russie, alors une jeune fille, Maria (surnommée Moura) se marie à Djon von Benckendorff, diplomate aristocrate d’origine germanique et balte. Ils’établissent à Saint-Pétersbourg mais multiplient les voyages dans le domaine familial des Benckendorff au château de Yendel en Estonie. Le jeune comte devient en 1912 second secrétaire de l’ambassade russe à Berlin et ils s’y installent. Elle fréquente alors des sphères européennes et très variées.

Mais la Révolution Russe éclate. Le roman raconte comment ses origines russes, son mariage avec un balte, sa vie à Berlin font peu à peu d’elle une espionne, un agent double aux services de la Russie, de l’Angleterre mais peut-être aussi de l’Allemagne. Des soupçons… Bloquée à Petrograd (anciennement Saint-Pétersbourg) pendant la Révolution, elle raconte l’arrivée des Bolchéviques au pouvoir, les emprisonnements et les tortures, les exécutions sommaires, les pillages des appartements des burjuis (les bourgeois), la peur et la famine… elle survit en devenant la secrétaire de Maxime Gorki, homme de lettres soviétique, proche de Staline. Plusieurs fois arrêtée et questionnée sur ses relations, elle parvient toujours à s’en sortir. Comment ? Elle utilise son réseau et ses relations, maîtresse de Maxime Gorki et de H. G Wells, elle navigue entre tous les éléments, sans compter quelques autres amants, notamment son grand amour, un agent secret britannique, Lockhart. Des soupçons mais jamais de preuve contre elle.

Moura a donc plusieurs vies, ce que j’ai trouvé incroyable, c’est qu’elle parvient (plus ou moins) à cacher à chacun ce qu’elle vie en Estonie, en Russie, en France ou en Angleterre. Elle parvient à voyager jusqu’en Italie, à passer les frontières. Elle côtoie les puissants de ce monde et ère dans les milieux de l’intelligentsia russe ou anglaise avec aisance. C’est une héroïne à la destinée incroyable (et encore mon avis passe sous silence d’autres détails). C’est une lecture passionnante sur une femme caméléon qui a su préserver sa mémoire et pourtant… Une biographique très documentée, notamment grâce à des extraits des correspondances !

« Elle n’aimait cependant que cela. La politique au sommet. (…) Connaître à la fois les détails et les grandes lignes, les rumeurs, les cancans qui agitaient les Etats, les idées de leurs représentants. Observer l’univers par les deux côtés de la lorgnette. Et n’en rien rater. (…) En ces années 1911-1913, sa maîtrise de l’anglais, du français, du russe – et maintenant de l’allemand -, son éducation littéraire et sa culture musicale faisaient, en effet, de madame von Benckendorff un ornement de choix. » (p. 105)

A rude épreuve. Elisabeth Jane Howard

A rude épreuve – Elisabeth Jane Howard (Edition La Table Ronde)

Après Etés anglais (dont je vous parlais avant-hier), j’ai enchaîné avec le deuxième tome de la saga des Cazalet, A Rude épreuve que j’avais apporté dans ma valise. Bon le verdict est le même, j’ai adoré ! Je n’avais malheureusement pas le troisième tome (et toujours pas), mais je le lirais dès que je peux. Je n’ai pas envie de quitter la famille Cazalet aussi vite.

Exactement comme dans le premier volume, on retrouve cette même lenteur au démarrage. L’histoire débute aux derniers jours de l’été 1939, un an après la fin d’Etés anglais, Elisabeth Jane Howard prend donc le temps de raconter cette année écoulée. Et puis tout démarre. Et j’ai retrouvé la même magie. L’atmosphère anglaise et bourgeoise avec ses pique-nique sur la plage, ses courses à Londres pour acheter du tissu afin de confectionner les nouvelles tenues des enfants qui grandissent, l’animation de Home Place qui accueille toute la famille et qui se prépare à la guerre. Les adultes sont préoccupés dans ce volume par leur couple, leur santé, la guerre qui semble arriver mais qu’on espère encore éviter comme l’été précedent, les études et les pensions des enfants (pourront-ils poursuivre leurs études ?) et en même temps ils profitent des beaux jours, ils sortent notamment à Londres, théâtre, restaurant, cinéma… Tout de même, le Brig veille et Home Place se prépare à la guerre, chacun a un masque à gaz sous son lit, le Brig installe des lits de camps sur le terrain de squash… et puis peu à peu chacun ferment sa maison londonienne car cela semble illusoire et dangereux d’y rester. Les domestiques et les gouvernantes viennent donc à Home Place, il faut donc déplacer les chambrées et trouver une organisation. Bref pas de minute de répit dans ce tome… Les enfants prennent plus de place, le roman s’attarde davantage sur les enfants de Rupert, Clary, préoccupée et Neville, on découvre aussi davantage Polly, l’aînée d’Hugh, très angoissée par la guerre mais surtout Louise, l’aînée d’Edward (et l’aînée des petits-enfants) qui prend plus de place, qui s’affirme, qui offre une nouvelle image de la femme, celle qui met des pantalons, celle qui veut travailler, celle qui veut être à l’image d’un homme et non pas simplement une mère ou une épouse : les questions d’éducation et de l’avenir des enfants sont très présents dans ce volume.

Mais la guerre est évidemment ce qui détermine toutes les actions. Les premiers raids ont lieu à Londres, Rupert Cazalet, le plus jeune fils, est mobilisé. Les femmes prennent peu à peu des responsabilités. Dans le salon, le soir on écoute la radio pour avoir des informations. Les enfants ne savent que peu de choses, écartés de ce monde adulte. Et puis les tickets de rationnement font leur apparition, la patience, la frustration… Le traitement des personnages bénéficie toujours d’une grande qualité psychologique. J’ai souvent eu l’impression que les Cazalet existaient, je pensais à eux en journée, comme s’ils vivaient en dehors du livre. Un pur moment de lecture, un délice de lire la saga des Cazalet.

Paris-Bagdad. Olivier Ravanello

Paris-Bagdad – Olivier Ravanello (Le Livre de poche Jeunesse)

Une lecture pour mes élèves de 4e : c’est un roman d’aventures qui livre un témoignage sur le métier de reporter en zone de guerre. Ce roman est grandement inspiré de ce qu’a connu Olivier Ravanello, grand reporter qui a couvert les conflits au Moyen-Orient et en Irak. Ce rappel est fait au début du livre. « Ce roman n’en est pas vraiment un : c’est avant tout le reflet d’une réalité vue et vécue. » Je trouve qu’on distingue très facilement la partie romanesque (qui manque totalement de crédibilité) et la partie réaliste. Il n’y a pas ambiguïté et c’est sûrement mieux pour de jeunes lecteurs. Pour moi, ça m’a un peu dérangée et j’ai trouvé que l’intrigue romanesque se résolvait trop facilement et de manière trop rapide. Bref nous suivons l’histoire d’un adolescent, Jules, 16 ans, qui se retrouve à Bagdad avec sa tante journaliste. Celle-ci, appelée en urgence, doit réaliser un reportage au plus vite. ils logent à l’hôtel Palestine, résidence des journalistes étrangers. On découvre donc le quotidien des reporters mais aussi la vie à Bagdad : à la fois le quotidien des populations et aussi la guerre, les chars, les enlèvements, les bombes, les morts… La confrontation de l’adolescent à cette situation est intéressante et Olivier Ravanello retranscrit bien l’atmosphère électrique, les tensions permanentes et l’urgence des situations.

« C’est aussi regarder les gens vivre pour comprendre ce qui se passe dans leur pays. On peut rester ici pendant une heure et apprendre plein de choses sans bouger. »

Ce que j’ai beaucoup aimé dans cette édition, ce sont aussi les suppléments et notamment l’évolution d’une dépêche AFP : de la première mention à l’article, on voit comment évolue l’information, comment elle arrive, comment elle est traitée puisque la dépêche est annotée et analysée. Je trouve ça très constructif pour nos élèves. Et enfin il y a des photographies du carnet d’un journaliste à Bagdad, le petit Moleskine avec toutes les prises de notes.