Le goût de la tomate. C. Léon

Petit format, le temps d’une soirée, c’est parfait. Ce tout petit récit parle de liberté mais surtout du goût de la liberté. En effet les tomates sot un prétexte. Dans une société qui semble très restrictive, Marius et son fils ont dérogé à la règle, ils ont gardé de la terre et des graines de tomates. Ils n’ont pas le droit de rater leur plantation mais ils n’ont pas non plus le droit de montrer qu’ils jardinent. Les tomates sont donc derrière les vitres, au soleil mais pas trop de peur qu’un voisin ne s’en aperçoivent. J’ai aimé cette histoire dans laquelle Marius cherche à montrer à son fils le bonheur de cultiver, de posséder un jardin, de faire pousser. C’est un acte de résistance face à un régime totalitaire. Ce que j’ai aimé dans ce récit, c’est la plume de Christophe Léon. Les mots sont à peine dits, il évoque à mots couverts cet état totalitaire et ces restrictions des libertés, on ne sait pas grand chose hormis que l’état gouverne les jardins et l’alimentation tout en s’alliant avec les grands groupes agro-alimentaires. Mais Marius a envie de donner à son fils ce goût de la liberté.

Ce n’est pas un livre si facile à lire. Il faut du recul et un esprit critique mais c’est un livre qui parle de liberté et de transmission des valeurs avec en toile de fond un climat pesant. A lire à nos élèves pour lancer une discussion ! Dans cette édition, j’avais lu il y a quelques temps maintenu Les coquelicots de Claude Monet de Nathalie Bernard et j’avais beaucoup aimé, je vais donc aller plus souvent piocher dans cette petite collection.

Le tour de l’oie. Erri De Luca

Pour celles qui me suivent depuis longtemps, vous le savez, j’aime accorder mes lectures avec les saisons et aussi avec mes voyages. Voyage en Italie, donc littérature italienne… et là j’ai bien vu que je n’avais aucune référence, que c’était une littérature que je ne connaissais absolument pas. Alors j’ai choisi ce livre un peu au hasard, d’abord parce que l’auteur est napolitain (et que nous nous arrêtions à Naples), ensuite parce que je vois souvent le nom de l’auteur sans jamais m’y être arrêté.

Ce que je retiendrais de ce roman, ce n’est pas l’intrigue mais c’est la plume d’Erri De Luca. J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de très poétique, que les paragraphes ressemblaient davantage à de la prose poétique, qu’il y avait une beauté étourdissante dans ces tournures et dans cet enchaînement de très courts paragraphes (souvent restreints à une seule phrase d’ailleurs). « Tu dis qu’il y a du silence dans cette pièce ? Il est oppressant quand j’arrête de parler. Je ne l’entends pas, je suis sourd au silence. » (p. 34) Les phrases sont courtes, il y a un rythme vraiment particulier, une mélodie je dirai même.

Dans un dialogue avec son fils imaginaire, le narrateur évoque ses souvenirs en Italie, son départ, sa famille, son engagement. De portée autobiographique, ce dialogue permet de montrer grâce aux morceaux de vie relatés les failles mais aussi la fragilité de la vie humaine. Il met en avant la passion de la littérature et l’écriture, un axe d’existence pour lui. « L’écriture est mon aujourd’hui et je suis content qu’elle soit, quelque part, l’aujourd’hui d’un lecteur. Les Lecteurs suivants auront leurs auteurs suivants, car je reste persuadé que, tant que l’espèce humaine existera, elle continuera à se faire raconter des histoires. » (p. 106) Les réflexions sur son rapport à la littérature et à l’écriture sont très belles, elles sont marquées de modestie et font réfléchir à notre relation au monde.

Ce n’est pas un roman qu’on lit facilement, il demande d’étre attentif (ce qui n’a pas toujours été mon cas), en revanche, la beauté et la grâce de son écriture m’ont à chaque fois rattrapée. Mes pages préférées restent celles sur Naples, sûrement parce que j’étais plongée dans cette vie que j’ai trouvée incroyable. Dans ce texte, l’atmosphère de Naples est là, on y sent son âme. J’ai adoré les passages sur son enfance à Naples, cette ville bouillante et bouillonnante, cette ville brûlante et indomptable à l’image de son volcan qui la domine.

« Et voilà l’équivoque de Naples, ville théâtrale : si la scène est partout, il n’existe pas de scène, qui est un plan surélevé au-dessus du public. […] Ce n’est pas la ville qui imite le théâtre, mais l’inverse : le théâtre singe la ville la plus grouillante de caractères et de personnes au kilomètre carré. Où chacun est soi-même avec une précision d’horloger et où les troubles de la personnalité sont des dons et non pas des symptômes auxquels remédier. Effet du volcan qui les presse. » (p. 66) Ce volcan est très présent, il explique un attachement fort de l’auteur à la montagne. Il surplombe cette ville et l’auteur, alors sur le point de la quitte, gravit le Vésuve pour la première fois « Je me permets de conseiller à quelqu’un sur le point de quitter Naples d’aller la saluer de là-haut » (p. 69)

On m’a conseillé de poursuivre la lecture de cet auteur avec Montedidio et Le poids du papillon, certaines les ont-elles lus ?

Sukkwan island. David Vann

Sukkwan islandJ’ai lu ce roman avec une tension permanente… c’est assez oppressant comme lecture et quelques instants après avoir lu les dernières pages, j’ai encore mon cœur qui palpite. Deuxième lecture  après Aquarium, j’apprécie de plus en plus cet auteur qui me surprend ! D’ailleurs, avez-vous d’autres lectures de cet auteur à me conseiller ?

Bon revenons à Sukkwan island… par où commencer… ? Jim décide d’emmener son fils de treize ans, Roy, passer une année dans une cabane isolée sur une île sauvage du sud de l’Alaska. Après de nombreux échecs personnels, il espère pouvoir se reconstruire et de créer un lien avec son fils qu’il connaît finalement si peu.  Jim et Roy vont devoir apprendre à vivre dans ce milieu hostile fait de forêt et d’animaux sauvages, et puis l’hiver approche, il faut se constituer des réserves de nourriture. Très vite ce huis-clos est pesant pour Roy (mais j’ai aussi ressenti cette lourdeur), il sent la fêlure en son père, s’en inquiète mais en même temps en est indifférent… Pourtant il se sent responsable. Roy soutient son père. C’est une épreuve éprouvante physiquement et moralement. Cette proximité gêne Roy, les confidences de son père sont désagréables et puis il est insaisissable et défaillant entraînant ce séjour dans un drame irrémédiable. Je ne dévoile rien mais le récit prend une tout autre tournure avec un tête à tête glaçant.

Sukkwan island 2« Tu sais, dit son père cette nuit-là tandis qu’ils attendaient le sommeil, tout est trop incontrôlable, ici. Tu as raison. Il faut être un homme pour supporter ça. Je n’aurais pas dû emmener un enfant avec moi.

Roy n’arrivait pas à croire que son père lui dise ça. Il ne ferma pas l’œil de la nuit. Il voulait partir. Il voulait s’échapper. Mais à mesure que les heures passaient, il savait qu’il allait rester. Il imaginait son père seul, il savait que son père avait besoin de lui. » (p. 86)

Voici un roman noir dont la lecture fait suffoquer, j’ai étouffé pendant cette lecture, j’ai frémi pendant ce récit, ce huis-clos, ce tête à tête glacial… Le personnage du père, Jim, m’a frappé par son inconscience, son irresponsabilité et ses faiblesses et ses tourments insolubles. Truffé d’égoïsme et d’ingratitude à l’égard de son fils, il se fait porter par celui-ci mais le père ne comprend que trop tard la place qu’il aurait dû occuper.

Sukkwan island, David Vann, édition Gallmeister, 2011